2005

La mobilité résidentielle dans la Région du Grand Accra. Différenciations individuelle et géographique

Monique Bertrand et Daniel Delaunay

Depuis que la gestion des villes sous ajustement structurel se présente sous des jours plus sociaux, l’idéal communautaire fait son chemin dans les « Projets » financés par la Banque mondiale à l’intention du Sud. Les opérations de réhabilitation de quartiers font notamment appel à la participation des populations à un aménagement de proximité ; la consultation locale et la décentralisation sont mises au service d’un meilleur recouvrement des coûts des services marchands qui doit aussi fonder la « bonne gouvernance » des cités.

La Région du Grand Accra met ainsi en question l’ancrage résidentiel de ses près de trois millions d’habitants. L’inscription des ménages dans les marchés fonciers, immobiliers et de l’emploi interroge la composition du « local » urbain ainsi mis en exergue. La diffusion de la location d’une part, une complexe combinaison de mouvements centrifuges et centripètes d’autre part, redistribuent les citadins dans un espace bâti en plein élargissement et recomposent leurs appartenances territoriales en fonction de critères de coût et d’accessibilité. L’étude a donc pour objectif de mesurer la mobilité aux deux échelles métropolitaine et infra-urbaine. L’analyse empirique exploite le module biographique de l’enquête longitudinale intitulée « Housing Practices and Residential Mobility in Greater Accra Region, 2000-2001 » (IRD et University of Ghana, Legon). A défaut d’être représentative des dynamiques démographiques d’ensemble et de permettre une inférence statistique entre les deux niveaux local et régional, la collecte s’appuie sur sept zones significatives du peuplement et de l’espace urbain. En vertu d’une sélection raisonnée de ménages en grappes au niveau d’îlots de voisinage, elle reconstitue plus précisément les séjours d’une population aujourd’hui adulte dans les limites du Grand Accra.

L’analyse quantitative mesure d’abord les durées de ces étapes résidentielles et modélise leurs variations selon les caractéristiques des individus enquêtés, de leur ménage et de l’habitat actuellement occupé : à l’instar de nombreuses métropoles, la capitale du Ghana atteste d’une augmentation significative de la mobilité résidentielle de ses habitants. L’étude aborde ensuite chaque zone d’enquête de manière plus monographique, pour les singularités contextuelles qu’elle apporte non seulement à l’intensité mais aussi aux déterminants du processus de mobilité. Les différences géographiques révèlent alors toute leur importance à ce niveau d’investigation fin, proche des préoccupations des habitants en matière d’habiter et d’attachement territorial, mais qui est habituellement ignoré des modèles démographiques. Ce n’est pourtant qu’au-delà d’un certain seuil de mobilité, c’est-à-dire pas dans tous les quartiers, que les individus se différencient de manière significative dans de tels contextes locaux.

L’analyse croisée des variables et des effets de lieux complète donc de manière pertinente l’observation in situ d’une réalité complexe. Elle rend surtout compte de niveaux très contrastés de la mobilité résidentielle d’un quartier à l’autre, et même entre les « communautés indigènes » de l’échantillon qui sont pourtant également sollicitées en termes de mobilisation contre la pauvreté. Trois hypothèses sont abordées : celle de la distance au centre et de l’ancienneté de l’urbanisation dans la région considérée ; celle du gradient économique qui augmente le risque de déménagement, des populations les plus pauvres, qui pâtissent d’un déficit de mobilité, aux classes moyennes de l’échantillon ; celle enfin de l’effet de la péri-urbanisation. Certaines situations de stabilité relèvent en fait de véritables captures résidentielles et ne constituent pas le meilleur gage de participation financière ou de mobilisation communautaire, toutes choses requises par les médiations politiques ou les bailleurs de fonds pour mieux gérer la ville à l’échelle « du local ».

Monique BERTRAND, Géographe, Maître de Conférences à l’Université de Caen. Ses recherches portent sur les dynamiques sociales et territoriales des villes en Afrique de l’Ouest francophone et anglophone.

Daniel DELAUNAY, Démo-économiste, Directeur de l’Unité de Recherche 013 « Mobilités et recompositions urbaines » de l’IRD. Ses travaux portent sur les mobilités et le peuplement, principalement en Amérique latine.

A English version of this book is available: see Residential Mobility in the Greater Accra Region.