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Annabel Desgrées du Loû, dans le Monde, sur l’Aide médicale d’Etat : « Tout le monde pâtirait d’une moins bonne prise en charge des migrants »

Annabel Desgrées du Loû, dans le Monde Afrique, sur L’Aide médicale d’Etat : « Tout le monde pâtirait d’une moins bonne prise en charge des migrants »

Alors qu’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales et des finances veut limiter l’AME, Le Monde Afrique a voulu en savoir plus auprès d’Annabel Desgrées du Loû,

« Tout le monde pâtirait d’une moins bonne prise en charge des migrants »

Spécialiste de la santé des Subsahariens, la chercheuse Annabel Desgrées du Loû déconstruit les idées reçues sur l’AME alors que s’ouvre à l’Assemblée le débat sur l’immigration.

Propos recueillis par Maryline Baumard Publié le 07 octobre 2019 à 11h14 - Mis à jour le 07 octobre 2019 à 11h50

AME pour aide médicale d’Etat… Trois lettres récurrentes dans tous les débats sur l’immigration. Celui qui s’ouvre aujourd’hui, lundi 7 octobre, à l’Assemblée nationale n’y fera pas exception puisque le dispositif d’accès aux soins destiné aux personnes en séjour irrégulier – vivant avec moins de 746 euros par mois et en France depuis plus de trois mois –, est dans la ligne de mire du gouvernement. Alors qu’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales et des finances veut limiter l’AME, Le Monde Afrique a voulu en savoir plus auprès d’Annabel Desgrées du Loû, directrice de recherches à l’Institut de recherche pour le développement de l’université Paris-Descartes et directrice adjointe de l’Institut convergences migrations.

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Cette chercheuse connaît l’état de santé des Africains subsahariens d’Ile-de-France pour avoir dirigé une large enquête auprès de cette population. Son travail incluait une approche biographique permettant de retracer les parcours de vie des personnes interrogées et donc d’analyser leur santé au regard de leurs conditions d’existence en France depuis leur arrivée. Baptisée Parcours, cette étude de référence, qui a donné lieu à un ouvrage collectif codirigé avec France Lert (Parcours de vie et de santé des Africains immigrés en France, éd. La Découverte, 2017), tient aussi compte de ce qui s’est passé en zone subsaharienne, avant la migration.


Vous avez travaillé sur la santé des migrants subsahariens, qu’ils soient réfugiés ou venus en France pour des raisons économiques. Que peut-on dire de leur état de santé ?

Annabel Desgrées du Loû Notre enquête était menée auprès d’un échantillon représentatif d’immigrés subsahariens consultant dans les centres de santé d’Ile-de-France, quels que soient la raison de leur immigration, leur statut par rapport au titre de séjour et leur date d’arrivée. Nous avons ainsi pu réaliser une photographie de leur état de santé. Les premières causes de consultation sont les maladies cardiovasculaires et métaboliques. L’hypertension artérielle touche une personne sur cinq, on voit aussi beaucoup de diabètes et le surpoids est en augmentation, en particulier chez les femmes. Ensuite viennent les troubles musculosquelettiques et les maladies respiratoires.
L’imagerie traditionnelle voudrait pourtant que le migrant subsaharien soit touché par des maladies infectieuses…

Eh bien, nous observons que les maladies infectieuses viennent loin derrière ! En fait, nous constatons chez les migrants ce qu’on peut appeler une « transition épidémiologique à l’échelle individuelle ». Cela signifie que les maladies infectieuses – VIH, hépatites ou tuberculose – sont bien dépistées et bien traitées après l’arrivée en France. En revanche, les maladies métaboliques, à cause du changement d’alimentation et de la sédentarité, elles, progressent. Si c’est un mouvement général qu’on observe en Afrique, avec une augmentation de l’hypertension, du surpoids et de l’obésité sur l’ensemble du continent, il reste que les conditions de précarité que rencontrent les migrants à leur arrivée en France – et qui durent de longues années puisqu’il faut six ou sept ans pour qu’ils aient accès à des papiers, à un logement et à un travail – contribuent largement à empirer la situation en matière de maladies métaboliques.

Ils n’arrivent donc pas malades en France ?

Très peu arrivent malades, car, pour migrer, il faut être en bonne santé. Nous avons pu mesurer, parmi ceux qui sont soignés pour une infection VIH ou une hépatite, que 90 % d’entre eux n’ont appris qu’une fois en France qu’ils étaient infectés. Nous avons aussi montré que près de la moitié de ceux qui sont suivis pour un VIH a été infectée en France, après l’arrivée. Leur mode de vie précaire, sans logement stable ni titre de séjour, est un facteur d’exposition aux risques sexuels et donc au VIH.

Les mauvaises conditions de logement en France, la pauvreté, qui induit une mauvaise alimentation, sont aussi des facteurs d’aggravation des maladies métaboliques (hypertension, diabète)… Et près d’une personne sur cinq ressent, en plus, des symptômes d’anxiété ou de dépression en lien direct avec les épisodes sans papier ou sans logement stable.

Vos travaux montrent-ils que les Subsahariens viennent pour se faire soigner en France et que l’AME est un facteur d’attractivité ?

Non, la santé apparaît comme une raison tout à fait marginale dans les raisons qui expliquent le départ de son pays et l’arrivée en France. La majorité est venue pour « tenter sa chance », c’est-à-dire trouver du travail, une vie meilleure. Puis, en second rang, pour rejoindre quelqu’un de la famille, ou fuir un pays où ils étaient en danger, ou encore faire des études. Moins de 5 % déclarent être venus pour raisons de santé.

L’AME permet-elle d’avoir recours à des « soins de confort » comme on l’entend parfois ?

Non, elle ouvre uniquement aux soins aux tarifs Sécurité sociale, aux médicaments génériques. Les bénéficiaires de l’AME n’ont pas accès à la PMA [procréation médicalement assistée], aux cures thermales ou à la chirurgie esthétique, comme on l’a entendu parfois de façon totalement fantaisiste. Et les prothèses mammaires, puisque cela a été évoqué sur certains plateaux de télévision, ne concernent que certains soins de suite pour réparation après chirurgie en cas de cancer du sein.

Des économistes de la santé avancent l’idée que l’AME, qui représente 0,5 % des dépenses de la Sécurité sociale, permet à l’Etat de faire des économies ultérieures conséquentes en autorisant une prise en charge précoce de pathologies qui peuvent dégénérer...

Oui, c’est ce qui a été montré dans une enquête européenne menée dans quatre autres pays : Belgique, Italie, Autriche et Espagne. Une couverture maladie comme l’AME permet une prise en charge rapide dans des centres de santé. C’est ce qu’on appelle les soins de santé primaires, moins onéreux que ne le serait une prise en charge hospitalière devenue nécessaire faute de prévention.

Cette prise en charge des migrants est-elle un maillon de la protection de la population générale ?

Oui, indubitablement. En ce qui concerne les maladies infectieuses, assurer une couverture maladie à tous, et notamment aux migrants, permet de leur offrir un dépistage et une prise en charge des maladies le plus vite possible, et donc d’éviter leur transmission.

Le gouvernement semble être bien conscient de cet aspect, car la réduction du panier de soins annoncée dans l’AME ne concerne pas les maladies infectieuses.

Reste que la santé mentale est aussi un aspect très important de la prise en charge des migrants. Les conditions de vie en France, en particulier quand on est sans papiers, sont délétères pour la santé psychique et tout le monde pâtirait d’une moins bonne prise en charge de ces troubles chez les migrants. La situation n’est déjà pas fameuse, ne l’empirons pas.

Maryline Baumard — lemonde.fr - Publié le 7 octobre 2019