Thèse de sociologie soutenue par Marjorie Gerbier-Aublanc sous la direction de Annabel Desgrèes du Loû et de Dolorés Pourette à l’université Paris Descartes le 30 mai 2016.
Cette thèse s’inscrit dans le cadre du projet PARCOURS • Parcours de vie, VIH / Sida et hépatite B chez les migrants originaires d’Afrique subsaharienne vivant en Ile-de-France.
Résumé du projet de thèse
Les difficultés à penser ensemble les phénomènes migratoires et épidémiques en France ont rendu complexe la mise en œuvre de réponses sociales et politiques effectives face à l’exposition des « migrants » au VIH/Sida, tout en révélant le difficile positionnement de la société française face aux « minorités postcoloniales ». C’est après 20 ans de quasi-invisibilité dans la lutte contre l’épidémie que la publication de statistiques à leur égard légitimera leur émergence comme cible politique prioritaire et objet de politiques publiques. Dans la continuité des modes d’intervention de l’Etat depuis le début de l’épidémie, les pouvoirs publics s’appuieront alors sur et impulseront, par un soutien financier, la constitution d’un ensemble d’associations issues de l’immigration pour intervenir de façon ciblée, dans le domaine de la prévention et du soutien aux personnes vivant avec le VIH. La troisième décennie de la lutte contre l’épidémie marque ainsi, en France, l’émergence d’une nébuleuse associative issue de l’immigration, en particulier en provenance d’Afrique Subsaharienne, au sein de laquelle les femmes occupent une position particulière.
L’objet de cette thèse est d’appréhender l’espace associatif de la lutte contre le VIH/sida comme le laboratoire d’un processus de changement social et politique au sein duquel les femmes originaires d’Afrique Subsaharienne puisent les ressources nécessaires pour négocier de façon originale leur positionnement tant au sein des communautés d’origine que de la société d’accueil. Afin de saisir la complexité de l’objet, les dynamiques associatives sont ici mises en perspective avec les trajectoires individuelles de leurs membres, tout en rapportant cette combinaison au contexte social et politique de développement dudit espace associatif.
Dans ce sens, une enquête socio-ethnographique a été menée entre octobre 2011 et juillet 2013, à partir de méthodes qualitatives de collecte de données. L’intégration du chercheur dans trois associations « communautaires » a donné lieu à dix-huit mois d’observation participante, complétés par un ensemble d’observations ponctuelles et répétées au sein de trois collectifs supplémentaires et de plusieurs évènements inter-associatifs. Quatre-vingt-cinq entretiens semi-directifs ont également été réalisés avec des femmes rencontrées au sein des collectifs ou des services hospitaliers, des acteurs associatifs, des médecins, des infirmières, des assistantes sociales et quelques personnages institutionnels. Au total, une dizaine d’associations ont été intégrées à l’enquête.
Dans la continuité des réflexions menées par J.Tronto (2009 : 13), le concept du Care défini comme l’ « activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre "monde" de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie », pose le cadre théorique de cette thèse. Au-delà de ses dimensions genrées, le Care est ainsi envisagé comme une éthique des subalternes, incarnés dans notre objet par les figures de femmes, immigrées, africaines subsahariennes en France, séropositives pour certaines.
C’est dans le prolongement des travaux menés autour de l’espace social du sida abordé par ses historiens, sociologues et anthropologues dans ses dimensions politiques, que nous proposons dans cette thèse l’analyse du positionnement des femmes originaires d’Afrique Subsaharienne, au sein de la sphère associative de lutte contre le sida en France, comme l’amorce d’un processus social et politique inédit. Dans quelle mesure l’investissement de l’espace social du VIH/sida s’opère-t-il à partir de l’expérience de situations-limites, tout en ouvrant la possibilité d’une voie/voix différente pour les femmes issues des minorités postcoloniales tant au sein des communautés d’origine que de la société d’accueil ? En quoi l’imbrication de rapports sociaux de genre, classe/statut, race peut-elle s’avérer porteuse d’une grammaire associative basée sur le Care pour faire face à une pathologie stigmatisante telle le VIH/Sida ? Comment l’éthique du Care pose-t-elle les fondements d’une expertise de la complexité, au cœur de laquelle se trouve le sens des autres ? Par quelles logiques l’engagement associatif des femmes favorise-t-il la recomposition des rapports de genre, mis à mal par la maladie, au sein des communautés d’origine ? Par quels mécanismes le positionnement associatif des femmes considérées permet-il d’entrevoir la révision des rôles de genre, statut/classe, race que leur assigne la société d’accueil ? Enfin, quelles sont les possibilités effectives offertes par l’espace de lutte contre le sida d’une voie/voix différente pour les femmes issues des minorités postcoloniales tant au sein des communautés d’origine que de la société d’accueil ?
Mots-Clés
Genre, Migration africaine, VIH/Sida, Espace associatif, Care, Changement social et politique
Zone géographique
France, Paris, Région Ile-de-France