Thèse de Démographie soutenue par Valentine BECQUET le 19 novembre 2015 sous la direction de Christophe Z GUILMOTO à l’université Paris-Descartes.
Résumé de la thèse
Plusieurs pays asiatiques connaissent un déséquilibre du rapport de masculinité à la naissance (Attané et Véron 2005 ; Attané et Guilmoto 2007 ; Meslé, Vallin et Badurashvili 2009). Si le phénomène existe en Chine ou en Inde depuis plus de 20 ans, il est très récent au Vietnam – il n’a été confirmé qu’en 2008 –, mais aussi extrêmement rapide. En effet, le sex ratio (ou rapport de masculinité) à la naissance a commencé à augmenter en 2005, passant du niveau biologique normal à un ratio national moyen de 110,6 en 2008 (recensement de 2009) et excédant 111 en 2009 (« Population Survey »). Ce sex ratio atteint même 115,4 dans la région du delta du fleuve Rouge, et excède 120 dans les provinces de Bac Giang et Hung Yen proches de Hanoi (Pham 2008 ; Guilmoto et al. 2009). Cette hausse de la proportion des naissances masculines est liée à la sélection sexuelle prénatale. Au Vietnam, le sex ratio est élevé dès la première naissance (110.2) et n’augmente fortement que pour les naissances de rang trois ou supérieur (115.5) (UNFPA, Août 2010). Cette caractéristique le distingue de tous les autres pays d’Asie où le sex ratio à la naissance est presque normal pour les premières naissances.
Ainsi, nous faisons face à une question actuelle de violation de l’équité de genre qui va se transformer dans le futur en un profond déséquilibre démographique d’une ampleur encore inconnue.
Ce travail de recherche va porter sur les trois facteurs principaux induisant ce déséquilibre du sex ratio à la naissance.
a. Il existe tout d’abord un facteur de « demande », caractérisé par l’intensité de la préférence pour les fils. Les nombreuses études effectuées sur le sujet se situent principalement dans la région du delta du fleuve Rouge, marquée par un système patrilinéaire et patrilocal fort dans l’ethnie majoritaire Kinh, en partie similaire au modèle culturel chinois (Bélanger 2002, 2006 ; Haughton 1995). Les femmes s’efforcent de légitimer leur statut en donnant naissance à un fils, qui est le seul habilité à rendre le culte aux ancêtres de la famille, garantissant ainsi la cohésion de la famille et la stabilité de la société vietnamienne (Scornet, 2000 ; Bélanger, 2006 ; UNFPA, 2007, Barbieri et Bélanger 2009). Cependant, une part importante de l’ethnie Kinh actuelle, dans le sud du Vietnam, est composée de descendants de populations d’origines ethniques différentes, y compris de groupes qui ont longtemps été connus pour avoir des règles de parenté et des modèles de résidence bilatéraux comme ailleurs en Asie du Sud-Est (Liljestrom et Lai, 1991 ; Bélanger, 2000).
b. Il y a ensuite un facteur de « pression », exercée par le faible niveau de la fécondité au Vietnam – selon le recensement de 2009, le taux de fécondité est désormais en dessous du seuil de renouvellement des générations –, ce qui augmente la probabilité de n’avoir que des filles. Ce risque de demeurer sans descendance masculine pousserait donc les couples à avoir recours à la sélection sexuelle prénatale.
c. Enfin, il y a un facteur « d’accessibilité », caractérisé par la légalité du recours à l’avortement provoqué et le développement de nouvelles technologies telles que les appareils échographes. Si l’avortement est légal dans l’ensemble du pays depuis 1975, et autorisé au second trimestre de grossesse dans les maternités publiques tertiaires, l’utilisation des appareils échographes s’est étendue à la majorité des infrastructures secondaires de santé du pays, et le nombre d’échographies réalisées est passé de 1 million en 1998 à 3.7 millions en 2002 et 10.8 millions en 2007 (Pham, 2008 ; Guilmoto et al., 2009).
Mots-Clés
Vietnam, déséquilibre de sex ratio, masculinité des naissances, sélection sexuelle prénatale, préférence pour les fils.
Zone géographique
Vietnam