Résumé : Le système éducatif ivoirien fut pendant les deux décennies qui suivirent l’indépendance le creuset de la construction nationale, de formation des élites et, par voie de conséquence, le lieu de recrutement des opposants au régime houphouëtiste. Les crises politiques qui ont secoué le pays depuis la mort d’Houphouët Boigny n’ont pas manqué d’impliquer directement l’éducation, et ce à plusieurs niveaux. Dans le même temps, l’éducation fut un enjeu politique direct, un lieu d’affrontement entre les factions rivales et la cible collatérale des acteurs du conflit. Le système éducatif s’en est trouvé profondément déstabilisé. Après avoir analysé la revue de littérature grise et scientifique et retracé l’histoire des crises, cette thèse s’intéresse ainsi à la perception qu’ont les acteurs de la demande et de l’offre en éducation sur le rôle de l’éducation et de l’intervention de l’aide internationale et locale dans le secteur. La démarche empirique adoptée repose sur la méthode de la triangulation qui combine trois types d’analyses complémentaires issues de bases de données existantes, d’entretiens, de questionnaires et de la participation à des ateliers de travail avec les partenaires techniques et financiers, récoltées entre avril 2013 et octobre 2014 dans trois zones géographiques particulièrement affectées par les conflits, à savoir à Abidjan, au centre et à l’ouest du pays. Les résultats de ces enquêtes montrent que durant les crises et les conflits successifs, devant l’obligation de pallier les baisses de financement de l’État central, et face aux impacts directs des affrontements, ce sont les communautés locales qui ont dû réinventer une manière de « faire école » après la crise de 2002. À cela s’ajoute l’implication croissante de la communauté internationale qui, depuis 1990, fait de l’éducation une priorité dans les pays en sortie de crise, et qui affecte la perception qu’ont ces communautés des actions de reconstruction ciblant directement le système éducatif et plus particulièrement à partir de 2004. À cet égard, contrairement aux stratégies des acteurs de l’aide visant à renforcer la participation communautaire, l’effet inverse s’est produit dans les régions où l’aide est intervenue massivement. Par ailleurs, les acteurs ayant été les plus affectés dans leur scolarité envisagent davantage l’École comme espace de socialisation au sein duquel les capacités individuelles et collectives se développent en priorité sur la notion de « vivre ensemble » et participent ainsi au processus de résilience. Cependant, l’institution scolaire représente également une perte de « repères » chez ces acteurs et les perspectives d’avenir leur semblent plus compromises que chez les acteurs n’ayant pas subi d’interruption de cours pendant les conflits. Les résultats indiquent également comment la présence des organisations internationales légitime les actions du gouvernement actuel. Ainsi, l’aide internationale est le plus souvent recherchée et même valorisée. Les autorités publiques et les populations locales ont tendance à considérer l’aide internationale comme une ressource parmi d’autres et qu’elles ont le devoir d’exploiter, les solutions de sortie des programmes d’aide n’étant pas évoquées. La reconstruction du système éducatif, son développement et sa transformation se font donc sous influence internationale, sans que celle-ci soit perçue comme de l’ingérence, ni par les autorités publiques, ni par les parents d’élèves, les enseignants, les élèves, lycéens ou étudiants, du fait de la situation singulière d’un État et d’une société civile en situation de post-conflit.
Mots-clés : AIDE AU DEVELOPPEMENT, AIDE HUMANITAIRE, Côte d’Ivoire, Education, ENSEIGNEMENT PRIMAIRE, ENSEIGNEMENT SECONDAIRE, ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, normes éducatives internationales, paix, Politiques publiques, post-conflit.