Résumé : Malgré les nombreuses recherches qui existent sur le sujet, les petits mots de la langue orale, ou marqueurs discursifs (désormais MD), ne jouissent pas d’une définition précise dans la littérature scientifique. Si des chercheurs ont été d’accord pour parler de « désémantisation » de ces unités linguistiques due au changement linguistique, des travaux plus récents mettent en avant leur sens discursif, ou ce qui peut être considéré comme une « pragmaticalisation » de ces unités qui garderaient, cependant, une valeur proche de leur sens d’origine en endossant une valeur subjective plus importante (Dostie & Pusch, 2007).
Les particules d’extension (Cheshire, 2007), se situant à la fin des énoncés et indiquant principalement, sur le plan informationnel, une liste d’éléments non terminés, ne sont pas considérées par tous les chercheurs comme des MD (Ferre, 2009), cependant, leurs fonctions discursives permettent difficilement de ne pas les considérer comme tels. Parmi ces particules, je m’intéresserai à l’unité sipa ki (« ou quoi »), en kreol morisien. Je me base sur un corpus de 6h de conversation entre jeunes Mauriciens âgés de 16 à 19 ans recueilli en 2014 (Chady, 2018). Sipa ki apparaît en fin de listes non exhaustives ainsi qu’à la fin de discours rapportés, il semble aider à présenter le discours comme approximatif, fonction que remplissent d’autres MD. Si cette particule d’extension permet à l’énonciateur de construire son discours monologal et montre son attitude face au discours, qu’il s’agisse du sien ou d’un énonciateur tiers, elle joue aussi un rôle dans la co-construction des rapports conversationnels puisqu’elle fournit non seulement des informations sur la façon dont les énoncés qu’elle accompagne doivent être interprétés mais peut aussi, dans certains cas, marquer une forme de désengagement du locuteur dans le but de préserver la face l’interlocuteur ou servir à définir une relation de proximité en sollicitant des connaissances (supposées) partagées entre les locuteurs pour la reconstruction du discours par l’interlocuteur (Guerin & Moreno, 2015).
Ainsi, ces particules, loin d’être dénuées de sens, peuvent au contraire être considérées comme polysémiques, elles prennent différents sens selon les contextes et aident à l’interprétation des différents énoncés qu’elles accompagnent.
Références
Chady, S.-K. (2018). Des marqueurs aux mouvements discursifs dans des interactions entre jeunes Mauriciens plurilingues. Thèse soutenue à l’Université Paris Descartes.
Cheshire, J. (2007). Discourse variation, grammaticalisation and stuff like that. Journal of Sociolinguistics, 11(2), 155‐193.
Dostie, G., & Pusch, C. D. (2007). Présentation. Les marqueurs discursifs. Sens et variation. Langue française, n° 154(2), 3‐12.
Ferre, G. (2009). Analyse multimodale des particules d’extension « et tout ça, etc. » en français. Interface Discours Prosodie (IDP09), Paris, France.
Guerin, E., & Moreno, A. (2015). Présence/absence de particules d’amorce et de particules d’extension dans le discours rapporté : Peut-on parler de variation ? Langage et société, 154, 67‐82.