Résumé : Avec le poids croissant de la communauté internationale dans la gestion des politiques publiques des années 1990 aux années 2000, on assiste à une sorte de gouvernance mondiale de l’éducation, de la conception des politiques nationales jusqu’à leur suivi. L’appréhension des progrès en matière d’éducation implique la production d’indicateurs fiables et réguliers. Au fil des décennies, les opérations de collecte se sont ainsi multipliées, mais sans donner lieu à une véritable capitalisation des acquis, ni surtout à une réflexion critique des approches méthodologiques. Pourtant, parmi les indicateurs retenus pour mesurer les progrès en éducation, nombreux sont ceux qui suscitent des interrogations quant à leur définition et à leur quantification.
L’objectif de cette note de recherche est d’examiner en détail et de manière critique la mesure des indicateurs relatifs à l’éducation au Mali sur deux thématiques : les enfants hors l’école et l’(an)alphabétisme. Pour ce faire, et pour chacune des deux thématiques, une analyse des métadonnées (définitions des concepts, questionnaires, instructions aux agents recenseurs et aux enquêteurs) est suivie d’une analyse de la mesure. Ce document fournit ainsi une approche inédite de la mesure en éducation. Les sources de données utilisées rassemblent 14 enquêtes nationales et 3 recensements généraux de la population conduits au Mali entre 1987 et 2016.
Nous avons d’abord porté notre attention sur les « Enfants Hors l’École » (EHÉ) à partir d’indicateurs qui révèlent qu’au Mali, une part importante des enfants en âge d’aller à l’école ne sont pas scolarisés, soit parce qu’ils n’y sont pas entrés ou parce qu’ils en sont sortis. Les tendances ainsi dessinées à partir des métadonnées révèlent une nette diminution de la proportion d’enfants hors l’école depuis le milieu des années 1970. Alors que le tout premier recensement au Mali, celui de 1976, permettait d’estimer à près de 94 % le nombre d’enfants de 9 à 11 ans qui ne fréquentaient pas l’école, cette proportion n’a cessé de diminuer au fil du temps pour se stabiliser à un peu plus de 40 % depuis le début des années 2010. Si l’importante baisse doit être soulignée et révèle les efforts importants consentis pour favoriser une éducation de base pour tous, il demeure néanmoins que, depuis 2010, plus de deux enfants sur cinq âgés de 9 à 11 ans ne fréquentent toujours pas à l’école et qu’aucun gain réel ne semble avoir été fait au cours de la période 2010-2016.
Les tendances concernant les enfants jamais scolarisés semblent suivre des trajectoires semblables alors que les proportions d’enfants déscolarisés, bien que relativement faibles au cours de la période étudiée, semblent toutefois connaître une augmentation importante depuis 2011.
On peut donc conclure que la crise politico-institutionnelle de 2012 et l’insécurité qui persiste depuis lors représentent un obstacle pour le Mali, qui peine à retrouver son rythme d’avant les années 2010 en ce qui a trait au maintien des enfants à l’école.
En matière d’(an)alphabétisme, le premier enseignement à tirer de l’analyse des métadonnées réside assurément dans la diversité des approches, en raison d’une variété de définitions, de manières de poser les questions et de modalités de réponse. À l’évidence, toutes les sources de données ne permettent pas de mesurer « exactement » la même chose, les mêmes compétences. Les recensements généraux de la population et de l’habitat (RGPH) de 1998 et de 2009 sont les deux seules sources à inclure la dimension de la compréhension, mais sur une base uniquement déclarative, sans recours à un quelconque test d’évaluation. Les enquêtes démographiques et de santé (EDS), depuis les années 2000, comportent un test, mais uniquement de lecture, et sont soumis aux seuls femmes et hommes éligibles à un questionnaire individuel.
L’évolution globalement à la baisse du taux d’analphabétisme chez les 20-24 ans (indicateur systématiquement recalculé pour toutes les sources de données), apparaît, dans l’ensemble, en cohérence avec la croissance de la scolarisation qu’a connue le Mali à partir des années 1990, étant donné que l’école constitue le principal vecteur de l’alphabétisation. Néanmoins, au regard de la forte croissance de la scolarisation au cours des années 2000, la persistance de l’analphabétisme pose des interrogations : est-elle due à des problèmes d’échantillonnage ou de collecte liés à la crise, ou est-ce la conséquence d’une baisse de la qualité de l’enseignement dans les années 2000? Si l’analyse des métadonnées révèle une hétérogénéité des définitions de l’(an)alphabétisme, il s’avère impossible d’en évaluer l’impact sur sa mesure. Au vu des résultats obtenus à partir des diverses sources de données, comment expliquer les incohérences ou les résultats contradictoires? Les résultats issus des EDS soulèvent également des interrogations : le seul recours à un test de lecture, sans critère de compréhension (et sans test d’écriture), incite à se questionner sur la valeur des résultats obtenus comparativement à ceux issus des autres sources de données qui recueillent l’information sur l’alphabétisme de manière déclarative. Il est en outre impossible de savoir dans quelle langue le test est effectué.
Alors que ce travail d’analyse critique des métadonnées et des mesures en matière d’(an)alphabétisme engendre assurément de nombreuses questions, sans y apporter de réponses satisfaisantes, une recommandation semble s’imposer, à savoir la nécessité d’une harmonisation des définitions et des modes d’évaluation, dans le but de garantir une meilleure comparabilité entre les sources de données, indispensable pour mieux éclairer les politiques, les acteurs en matière d’éducation.